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Interview de Marina Lévy sur les enjeux de l’UNOC

Interview de Marina Lévy, directrice de recherche au CNRS et conseillère pour l'Océan auprès de la présidence de l'IRD
La ville de Nice accueillera du 9 au 13 juin 2025 l'UNOC-3, Conférence des Nations Unies sur l'Océan. Pourriez-vous dans un premier temps nous dire en quelques mots introductifs à quoi correspondent ces conférences ?
Après les deux premières éditions, présidées par la Suède et les Fidji à New York (2017) et par le Portugal et le Kenya à Lisbonne (2022), la France et le Costa Rica ont la charge d’organiser la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC3). Cette conférence est mandatée par l’Assemblée générale des Nations unies et réunit tous ses États membres. En France, l’organisation de la conférence a été confiée à Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes, et envoyé spécial du Président de la République Emmanuel Macron pour l’UNOC 3. L’UNOC vise en réalité à mettre en œuvre l’objectif de développement durable 14 (ODD 14) sur l’environnement marin.
La France et le Costa Rica ont trois priorités pour cette conférence afin de répondre à l’état d’urgence dans lequel se trouve l’Océan :
> La première est de faire aboutir les processus multilatéraux liés à l’Océan ; parmi eux, le traité BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction). Ce traité connu comme le traité sur la haute mer, est un accord international historique visant à protéger la biodiversité marine dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale. Il a été adopté en 2023 suite à l’UNOC2 après plus de 15 ans de négociations. Il vise par exemple à créer des aires marines protégées en haute mer, ou à encadrer l’utilisation des ressources génétiques marines. Au 22 avril 2025, 21 pays l’ont ratifié, dont la France. Pour qu’il entre en vigueur, il faut 60 ratifications. C’est une course contre la montre d’ici l’UNOC3. D’autres accords et discussions importantes seront à l’ordre du jour, notamment autour de la pollution plastique, de la décarbonation du secteur maritime et d’un moratoire sur l’exploitation des grands fonds marins.
> Le deuxième objectif est de mobiliser des financements pour atteindre l’ODD 14 – qui est un des ODD les moins bien financés – et pour soutenir le développement d’une économie bleue durable.
> Enfin le troisième objectif – qui est celui qui me tient le plus à cœur– est de renforcer et mieux diffuser les connaissances liées aux sciences de l’Océan pour une meilleure prise de décision.
D’ailleurs, et c’est une première lors d’une telle conférence des Nations Unies, elle sera précédée par un grand congrès scientifique, Le One Ocean Science Congress qui délivrera des recommandations scientifiques. D’autres livrables scientifiques sont prévus : le lancement d’un grand programme d’observation de l’Océan, baptisé, Neptune ; la transformation de Mercator Océan en organisation internationale ; la création d’alliances autour des sciences océaniques, dans le domaine du spatial (Space4Ocean) et pour les universités marines; la création de l’IPOS, l’International Panel for Ocean Sustainability ; le lancement d’un baromètre sur l’état de l’Océan, travail que je co-pilote actuellement avec Pierre Bahurel (PDG de Mercator-Ocean).
Et en parlant des acteurs, quels sont-ils exactement au-delà des 193 pays membres de l’ONU ? Quel est le rôle attendu pour chaque type d’acteur ?
Au-delà des états membres, il y aura la société civile (ONG, associations, syndicats, …), le secteur privé (entreprises, fondations, acteurs de la finance, ..), le monde académique et scientifique, les collectivités territoriales et les gouvernements locaux. Chacun sera dans son rôle, mais l’enjeu de l’UNOC sera aussi de créer des passerelles entre ces différents acteurs, pour favoriser des coalitions d’action et des engagements communs en faveur de la protection de l’Océan. La voix des petits États insulaires et des pays du Sud sera cruciale, car ce sont eux qui prennent de plein fouet les premiers effets des dérèglements.
Pensez-vous que la conservation et l’utilisation des ressources océaniques sont des points qui ont jusqu’ici été peu inscrits aux divers agendas environnementaux?
Oui, tout à fait. Les enjeux liés à la conservation et à l’utilisation durable des ressources océaniques ont jusqu’à présent été abordés de manière trop fragmentée. On les retrouve ici et là : dans les rapports du GIEC sur le climat, ceux de l’IPBES sur la biodiversité, dans les travaux de la FAO sur la pêche, ceux de la COI (Commission océanographique intergouvernementale), ou encore dans les analyses de Copernicus Ocean et du World Ocean Assessment (WOA). Plus récemment, l’OCDE a également produit un rapport remarquable sur l’économie bleue. Mais cette multiplicité de sources reflète un manque de coordination : à l’échelle des Nations Unies aussi, les questions océaniques restent dispersées entre différentes instances, sans véritable gouvernance intégrée. C’est précisément ce morcellement de la connaissance et des responsabilités qui a motivé la création de l’IPOS. Son objectif est d’offrir un cadre scientifique global et cohérent pour replacer l’Océan au cœur des grands agendas internationaux.
L’objectif finalisé de cette conférence sera-t-il de produire un « accord de Nice » comme ce fut le cas en 2015 pour l’accord de Paris sur le climat ?
Le principal aboutissement de cette troisième édition sera effectivement le Plan d’actions pour l’Océan de Nice, articulé autour d’une déclaration politique et d’une liste d’engagements volontaires pris par les différentes parties prenantes. Dix ans après l’Accord de Paris sur le climat, signé en 2015 lors de la COP21, ces « Accords de Nice » pourraient en constituer le pendant dédié à l’Océan.
Marina Levy, quel serait votre mot de fin ?
Décloisonner. Les organismes de recherche en France l’ont bien compris : ils ont créé des structures transverses pour penser l’Océan dans sa globalité. Je pense, par exemple, au GIS Océan du CNRS, à la communauté de savoirs Littoral et Océan de l’IRD, ou encore à l’Institut de l’Océan de l’alliance Sorbonne Université — pour ne citer que celles que je connais le mieux. Mais décloisonner, c’est aussi une autre manière de faire de la science : une science de la durabilité, qui associe dès le départ l’ensemble des acteurs — académiques et non-académiques — dans la définition même des problèmes à résoudre. C’est cette science-là que promeut l’IRD, que j’ai la chance d’accompagner en tant que conseillère Océan pour l’UNOC3. Et au-delà du monde scientifique, c’est justement là que l’UNOC prend tout son sens : en créant un espace propice à ce décloisonnement entre acteurs, disciplines, cultures, territoires. Nous fonctionnons encore trop en silos. Or, face à l’urgence, le dialogue est indispensable pour redresser la barre et engager les actions nécessaires. Décloisonner, c’est aussi l’intention du baromètre Océan dont le contenu sera révélé le 8 juin 2025, juste avant l’UNOC3, à l’occasion de la journée Mondiale de l’Océan.
Propos recueillis par Françoise VIMEUX (IRD, LSCE et HSM)