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El Niño : qu’a-t-il de plus que La Niña ?

Juin 5, 2025

Figure 1 : El Niño et La Niña : des phénomènes climatiques aux personnalités bien marquées ! Un épisode La Niña se caractérise par des anomalies froides de température de surface dans le Pacifique central équatorial, visibles en bleu sur la carte stylisée en arrière-plan. Si les anomalies froides associées aux La Niña sont en moyenne moins intenses que les anomalies chaudes des El Niño, elles ont tendance à durer plus longtemps, avec des conséquences majeures sur les sociétés humaines. Illustration générée par chatGPT4o.

Quand on évoque le phénomène climatique ENSO (El Niño-Southern Oscillation), c’est souvent la phase chaude -El Niño- qui monopolise l’attention. Pourtant, la phase froide, La Niña, mérite tout autant que l’on s’y intéresse (Fig. 1) !

Fig. 2 : (a) Série temporelles des anomalies de température de surface de l’océan par rapport à la climatologie dans le Pacifique central (moyennes glissantes de 3 mois). Les La Niñas (en bleu) sont définis comme les périodes pendant lesquelles ces anomalies sont inférieures à -0.5°C sur au moins 5 mois. Exemples de cartes d’anomalies de température en Novembre-Janvier (b) 2011-2012 (La Niña) et (c) 2015-2016 (El Niño).

Début 2025, le Pacifique central était légèrement plus froid que d’ordinaire pour la saison...

… Pas suffisamment cependant pour que les climatologues annoncent officiellement un épisode La Niña. Selon la définition admise, un La Niña est déclaré lorsque la température de surface de la mer reste au moins 0,5 °C en dessous de la moyenne saisonnière (calculée sur les 30 dernières années) pendant au moins cinq périodes consécutives de trois mois¹ (Fig. 2). Lorsqu’il s’installe, un La Niña entraîne toute une série d’anomalies climatiques dans le monde, telles que des sécheresses (au Pérou, en Équateur) ou des pluies abondantes (en Australie, en Afrique du Sud ou dans le Nord-Est du Brésil).

El Niño et La Niña reposent sur un même mécanisme fondamental : la rétroaction de Bjerknes², un couplage océan-atmosphère qui permet à une anomalie initiale de température dans le Pacifique central de modifier les conditions atmosphériques et de s’amplifier au cours de l’été et de l’automne boréal, pour atteindre un maximum en fin d’année³. Dans le cas de La Niña, c’est une anomalie froide qui se développe. Celle-ci est souvent favorisée par une anomalie négative préalable du contenu de chaleur du Pacifique équatorial⁴. L’océan Pacifique équatorial profond influence l’évolution ultérieure de la surface et son observation par un réseau de mouillage permanent où les satellites altimétriques constituent la base des prévisions de La Niña ou d’El Niño.

On a tendance à présenter La Niña comme l’exact opposé d’El Niño. C’est vrai à grands traits, mais certaines asymétries existent. Les anomalies de température maximales des épisodes La Niña, concentrées sur le Pacifique central, atteignent rarement -2 °C. À l’inverse, les El Niño les plus forts dépassent +2,5 °C, avec un centre d’anomalie décalé vers l’est du bassin. Mais si les El Niño sont plus intenses, les La Niña ont tendance à durer plus longtemps (Fig. 1 et 2a) et à être plus prévisibles. En particulier, les El Niño extrêmes sont souvent suivis par des La Niña prolongées sur deux ans ou davantage⁵. Cette persistance permet une bonne prévision saisonnière du climat tropical et amplifie l’impact sociétal des anomalies climatiques associées aux périodes La Niña.

Enfin, La Niña a beaucoup fait parler d’elle dans le cadre du débat sur le « hiatus » du réchauffement climatique⁶. Entre 1990 et 2020, la hausse de la température moyenne mondiale a semblé ralentir. Certains y ont vu un signe de ralentissement du changement climatique. Pourtant, la communauté scientifique a rapidement identifié le rôle des La Niña fréquents pendant cette période : en favorisant la remontée d’eaux froides, ces épisodes agissent comme un « climatiseur planétaire », retirant de la chaleur de l’atmosphère pour la stocker dans l’océan. Cet effet reste temporaire : un El Niño intense finit par restituer cette chaleur, provoquant alors un bond record des températures, comme ce fut le cas en 2016 et en 2024 à la suite des évènements chauds amorcés en 2015 et 2023.

 Jérôme VIALARD (Directeur de recherche à l’IRD)

(1) Les périodes sont dites « glissantes » : par exemple janvier-mars, février-avril, etc… + d’infos
(2) Jacob Bjerknes était un météorologue Norvégien qui a fini sa carrière aux USA. Bjerknes, J. (1972). Large-scale atmospheric response to the 1964–65 Pacific equatorial warming. Journal of Physical Oceanography, 2(3), 212-217.
(3) Pour une synthèse récente des mécanismes d’ENSO, voir : Vialard, J., et al. (2025). The El Niño Southern Oscillation (ENSO) recharge oscillator conceptual model: Achievements and future prospects. Reviews of Geophysics63(1), e2024RG000843.
(4) Klaus Wyrtki était un océanographe allemand qui a fini sa carrière aux USA. Wyrtki, K. (1975). El Niño the dynamic response of the equatorial Pacific Oceanto atmospheric forcing. Journal of Physical Oceanography, 5(4), 572-584.

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