Météo et Climat Info
Face à la tempête : comment le sauvetage en mer s’adapte aux défis climatiques

Lors d'une intervention en novembre 2024 à l’École Normale Supérieure, les Sauveteurs en Mer ont partagé un retour d’expérience sur les opérations de sauvetage, soulignant deux réalités : l’influence cruciale des conditions météorologiques et la nécessité de s’adapter face aux bouleversements climatiques.
Un témoignage de Pierre Bichard, Capitaine de 1ère Classe de la Navigation Maritime et inspecteur général au sein l’association des Sauveteurs en Mer – SNSM.
Le facteur météo : une variable à haut risque
Les Sauveteurs en Mer interviennent principalement pour les plaisanciers et les usagers de la mer comme espace de loisir à proximité des côtes même si les moyens hauturiers sont capables d’intervenir au large pour les professionnels en particulier. Les statistiques montrent que la majorité des interventions des Sauveteurs en Mer se déroule dans des conditions modérées (vent inférieur ou égal à force 4, soit environ 20 km/h, mer inférieure ou égale à 3, c’est-à-dire peu agitée avec des vagues entre 0,5 et 1,25 m). La particularité des sorties en mer est, néanmoins, que les sauveteurs, tous bénévoles, ne choisissent pas le moment où ils devront appareiller pour sauver des vies. Et en mer, le vent ne prévient pas toujours, une houle peut devenir meurtrière en quelques minutes, un ciel clair peut dissimuler un orage violent.
L’exemple de la tempête du 18 août 2022 en Corse reste dans toutes les mémoires : des rafales de vent dépassant 200 km/h, une mer déchaînée, des pertes humaines, une alerte donnée alors que le phénomène frappait déjà les côtes de l’île et des sauveteurs confrontés à des conditions extrêmes qui n’avaient pas été annoncées aussi fortes par Météo-France la Météorologie Nationale. Ces événements extrêmes, rendus de plus en plus nombreux par le dérèglement climatique, obligent les Sauveteurs en Mer à s’adapter.
Une flotte à repenser pour affronter l’avenir
Développer des moyens adaptés au sauvetage en mer pour assurer au mieux la sécurité des sauveteurs et des personnes recueillies n’est pas nouveau. Doter les sauveteurs de canots insubmersibles autoredressables était déjà un des objectifs prioritaires de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés dans le dernier quart du XIXème siècle.
Pour faire face à cette nouvelle réalité, la SNSM doit s’adapter. Cela commence par le renouvellement de sa flotte, entamé depuis plusieurs années. Les nouveaux canots de sauvetage sont conçus pour naviguer dans des conditions bien plus dures : plus puissants, mieux équilibrés, plus sûrs pour les équipages.
Ces navires de nouvelle génération doivent supporter des vagues plus hautes, des coups de vent plus violents, des pressions mécaniques accrues.
Ce chantier technique est aussi stratégique : il conditionne la capacité de la SNSM à maintenir sa rapidité d’intervention sans exposer inutilement ses bénévoles.
Parallèlement, les équipements embarqués évoluent. Caméras thermiques pour les recherches nocturnes ou dans le brouillard, radars modernes, GPS de précision, systèmes de communication renforcés… tout est pensé pour améliorer la coordination, la visibilité et la sécurité.
Anticiper plutôt que subir
Mais adapter les bateaux ne suffit pas. La prévision météo devient un pilier central de l’organisation. Grâce à des partenariats avec Météo-France et des outils numériques avancés, les stations de la SNSM peuvent désormais anticiper plus finement les risques avant chaque sortie.
Les patrons d’embarcation (pilotes des bateaux) sont formés pour analyser des données complexes, intégrer les bulletins côtiers, interpréter les modèles météo locaux. L’objectif est clair : réduire la surprise, mieux planifier les sorties, éviter les mises en danger inutiles tout en assurant la mission de sauvetage.
L’humain au cœur de l’adaptation
Enfin, il convient d’insister sur un facteur essentiel : la transmission de l’expérience. La connaissance fine de la zone d’intervention des sauveteurs bénévoles, l’observation des effets du vent sur telle passe rocheuse, le ressac propre à tel port… sont autant d’éléments que les instruments ne peuvent restituer.
Cette expertise empirique se transmet entre anciens et nouveaux, dans une forme de compagnonnage qui reste au cœur de l’identité de la SNSM. C’est cette culture du terrain, nourrie d’années de navigation, qui permet de prendre les bonnes décisions dans l’urgence.
Un nouveau climat, de nouvelles responsabilités
Au-delà des interventions individuelles, le changement climatique modifie le cadre même dans lequel la SNSM opère. L’IMRF (International Maritime Rescue Federation), qui regroupe 140 organisations de sauvetage en mer dans le monde, a lancé une étude “Futur SAR” sur la nécessaire stratégie d’adaptation des sociétés de sauvetage en mer face au climat.
Il en ressort que les modifications du milieu maritime seront nombreuses. Températures plus élevées, érosion des côtes, augmentation des activités nautiques et des noyades avec une saison estivale prolongée. On peut citer l’exemple d’octobre 2023 qui a vu le nombre de noyades doubler en France par rapport aux précédentes années en raison de conditions estivales s’étant prolongées jusqu’à l’automne, comme le signale le SNOSAN.
L’adaptation devra prendre différentes formes pour les organisations de sauvetage en mer. Renforcement de la coopération internationale, meilleure disponibilité et circulation des données, prévisions météo plus fines, flottes modernisées et modulables, prise en compte de la santé mentale des sauveteurs confrontés à des situations de catastrophe de grande ampleur, intégration dans de nouveaux dispositifs d’intervention (migrants, sauvetage de masse, etc.)
Sauver des vies en mer reste la mission fondamentale de la SNSM. Mais aujourd’hui, cela implique d’anticiper les effets du climat, d’innover dans les moyens, et de former des équipes capables d’intervenir dans des conditions extrêmes. Grâce à son ancrage territorial, à la passion de ses bénévoles et à son effort constant d’adaptation, la SNSM incarne une réponse humaine et solidaire face aux défis de notre époque.
Pierre BICHARD
Capitaine de 1ère Classe de la Navigation Maritime et inspecteur général au sein l’association des Sauveteurs en Mer – SNSM